Exposition virtuelle : L’Opéra Comédie, toute une histoire !

Le 1er octobre 2018, a eu lieu le 130e anniversaire de l’inauguration du Théâtre municipal Opéra Comédie. Tout au long de l’année, les Archives municipales ont proposé chaque mois un document retraçant l’histoire du théâtre, des musiciens montpelliérains et des événements marquants de la vie musicale montpelliéraine.

Janvier : Un « bâtiment-monument » central dans l’urbanisme montpelliérain

Voir l'image en grand Place de la comédie vers 1950, carte postale, AMM, 6Fi915L’histoire de l’Opéra Comédie commence en 1740, lorsque le roi Louis XV accorde par lettres patentes à Antoine Rey, promoteur, l’autorisation de construire un théâtre sur des terrains vacants à proximité de la porte de Lattes. La première salle de spectacle et de concert, élevée à la périphérie de la ville, va devenir l’instrument d’un grand projet urbanistique s’étalant du XVIIIe siècle à nos jours, remodelant l’espace public montpelliérain. Avec lui, s’enclenche le mouvement irrésistible de déplacement du centre de gravité de la ville vers le sud-est, poursuivi avec la gare et aujourd’hui le nouvel Hôtel-de-Ville.

 La place de la Comédie, aménagée progressivement devant le théâtre, devient le nouveau cœur battant de Montpellier. D’abord étriquée, elle s’élargit avec la destruction des murailles de la Commune Clôture. En 1797, on y installe face à l’entrée du théâtre les emblématiques Trois-Grâces, qui ornaient à l’origine la fontaine de la place de la Canourgue. La reconstruction de l’édifice actuel, inauguré en 1888, lance l’haussmannisation de la place de la Comédie, dont l’alignement des façades s’organise en fonction de la perspective de l’Opéra. Vecteur de modernisation urbaine, il est le premier bâtiment public à bénéficier de l’électricité en raison des incendies qui l’ont frappé par deux fois, la Ville étendant aussitôt l’éclairage électrique aux rues avoisinantes. En 1986, la place de la Comédie devient le premier espace piétonnier de Montpellier, de nos jours l'un des plus importants d'Europe, mettant ainsi en valeur l’ensemble architectural. Lieu d’excellence culturelle et de célébrations populaires, comme ce fut le cas en 2012 lorsque le MHSC remporta le championnat de France de football, l’Opéra Comédie est l’un des symboles forts de la ville de Montpellier.

L’Opéra Comédie en dates

Voir l'image en grand Théâtre municipal, carte postale, AMM, 6Fi272

1740 : Premier projet du théâtre.

1752 : Le Conseil de Ville de Montpellier, sous l’impulsion du gouverneur de Languedoc, le duc de Richelieu, reprend le projet et le confie à l’architecte Philippe Mareschal.

22 décembre 1755 : Inauguration de la première salle de spectacle et de concert.

17-18 décembre 1785 : Premier incendie du théâtre, reconstruction du bâtiment par les architectes Donnat et Lenoir.

6 avril 1881 : Deuxième incendie du théâtre, la reconstruction de l’édifice est confiée à Joseph Cassien-Bernard, architecte parisien, élève de Charles Garnier, sur le modèle de l’Opéra de Paris.

14 juillet 1884 : Pose de la première pierre du nouveau théâtre, début du chantier de l’Opéra Comédie.

1er octobre 1888 : Inauguration de l’édifice actuel avec la représentation de l’opéra de Scribe, Deschamps et Meyerbeer, Les Huguenots.

1er octobre 1979 : Création de l’Orchestre de Montpellier, devenu orchestre national en 1999, qui marque la renaissance du théâtre.

21 juin 1986 : Inauguration de la place de la Comédie, plus grande place piétonne d’Europe.

17 décembre 1988 : Inauguration du Corum, puis en 1990 de l’Opéra Berlioz qui dote Montpellier d’une salle de spectacle de rang international. Ouverture à la même époque des théâtres Jean-Vilar et de Grammont. Évolution de l’Opéra Comédie en une salle dévolue à l’art lyrique.

Octobre 2010-avril 2012 : Dernier chantier de rénovation de l’Opéra Comédie.

L'Opéra Comédie en images

Le théâtre et la place de la Comédie comptent parmi les sujets favoris des photographes. Voici une sélection iconographique, présentant le théâtre de Montpellier à la Belle Epoque.

Février : Le théâtre avant le théâtre

Voir l'image en grand Archives Municipales Ville de Montpellier, 6S130 L’ancien théâtre en 1858, photographie

 La Salle de spectacle et de concert (1755-1881)

Répondant au vœu du duc de Richelieu, gouverneur de Languedoc, de voir édifier à Montpellier une salle de spectacle (pour les représentations scéniques) et de concert (pour la musique instrumentale), les consuls décident en 1753 d’en confier la construction à Philippe Mareschal, ingénieur royal et directeur des fortifications de la province. Aussi connu pour ses ouvrages militaires – les fameuses redoutes du littoral languedocien – que pour ses talents d’urbaniste – les jardins de la Fontaine à Nîmes, son projet est préféré à ceux des architectes montpelliérains Dejean et Giral. Il inscrit le théâtre dans la ville en la transformant, notamment en élargissant les voies, en comblant les fossés et en déplaçant la porte de Lattes. La vieille porte médiévale est démolie, remplacée par la grille provenant du château de la Mosson. Le jeu de ballon est déplacé également, créant ainsi un vaste parvis en connexion avec l’Esplanade. Suivant l’air du temps, Mareschal intègre dans son projet un café, un des tout premiers de Montpellier. Souhaitant créer un lieu de loisir pour les élites urbaines, le projet initial prévoyait d’y associer une salle de jeu de paume et une salle de billard.  

Les difficultés financières liées à la construction de l’aqueduc de Saint-Clément font que les délais ne sont pas tenus et le théâtre est inauguré le 22 décembre 1755 avec l’opéra de Rebel et Francœur, Pyrame et Thisbé, avant que les travaux ne soient achevés. Dans la nuit du 17 au 18 décembre 1785, le théâtre brûle. Les travaux de reconstruction sont confiés à Jacques Donnat et Samson-Nicolas Lenoir. Si la façade, le vestibule et la salle de concert sont conservés, les deux architectes montpelliérains modifient la grande salle de spectacle et repensent complètement les espaces en les agrandissant. Le second théâtre est inauguré le 1er octobre 1787 avec une comédie mêlée d’ariettes de Marmontel et Gretry, L’Ami de la maison. Ses abords sont réaménagés ; des voies élargies le séparent des autres bâtiments. On installe en 1797 sur le parvis la fontaine des Trois-Grâces et la place de la Comédie prend déjà la forme d’un œuf qui la caractérise.

"Une des plus jolies et des plus commodes qu’il y eut dans le royaume" *

Voir l'image en grand Archives municipales Ville de Montpellier, 6S130 L’ancien théâtre en 1858, détail de la façade, photographie

Cette photographie, unique, due certainement à l’objectif de Georges d’Albenas (1827-1914), provient de la collection de l’érudit montpelliérain Emile Bonnet et serait datée de 1858. La qualité du tirage papier d’après un négatif sur plaque de verre permet d’apprécier tous les détails de la façade. Elle nous en apprend plus que tout autre document d’archive. La façade de Mareschal, large de 27 mètres, était divisée en trois parties, la partie centrale faisant saillie, surmontée d’un fronton triangulaire sur l’attique, dans le plus pur style du XVIIIe siècle. Elle offrait cinq portes au rez-de-chaussée, les trois portes centrales donnant sur le vestibule, la porte latérale de gauche sur la direction du théâtre, celle de droite sur le Café de l’Opéra.

Les cinq fenêtres à l’étage ouvraient sur la salle de concert. Toute la décoration était groupée dans la partie centrale. Quatre pilastres ioniques encadraient les fenêtres. L’enroulement des volutes était surchargé de guirlandes, ainsi que d’un modillon zoomorphe entre les deux volutes. Trois trophées, l’un militaire, à gauche, avec un décor de faisceau de licteur et une cuirasse à l’antique, les deux autres d’instruments de musique (violon, tambour de basque, hautbois, cornemuse, etc.), couronnaient les fenêtres. Le fronton portait à l’origine les armes du duc de Richelieu. Symbole du pouvoir de l’Ancien Régime, elles furent remplacées par une horloge, seule subsistant la couronne ducale qui les surmontait. La corniche était ornée de groupes de statues qui furent, par la suite, supprimées. Ce soir-là, on donnait au théâtre Haydée ou le secret de Daniel-François-Esprit Auber sur livret d’Eugène Scribe, opéra-comique en trois actes créé en 1847 à Paris et représenté chaque saison à Montpellier les années qui suivirent ; la soirée était complétée par Le bras d’Ernest, une comédie-vaudeville en un acte d’Eugène Labiche créé en 1857, et par Les Extases de M. Hochenez, comédie mêlée de couplets de Marc Michel créée en 1850. Ces œuvres furent jouées durant la saison 1857-1858, comme nous l’apprend le Journal du théâtre d’Adolphe Gilles (AMM, 9S1, p. 99).

* citation de l'Intendant Saint-Priest

Plan de la salle de concert par l’architecte Fovis, 1822

Voir l'image en grand Archives municipales Ville de Montpellier, R2/8 (2A) Plan de la salle de concert par l’architecte Fovis, 1822

La Salle de spectacle de Montpellier témoigne du développement du théâtre à l’italienne au milieu du XVIIIe siècle, l’un des tout premiers construit en France. Modèle du genre, le plan de Mareschal est même reproduit dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Le théâtre à l'italienne se caractérise par une salle de dimensions modestes, en forme de U, organisée autour d’un parterre et structurée en plusieurs étages de loges ou balcons, offrant au public une qualité d’écoute et visuelle. La scène à l'italienne est surélevée par rapport à la salle. Quoique transformée par Donnat et Lenoir, la salle conserve les grandes lignes tracées par Mareschal. Tout au long du XIXe siècle, des améliorations sont apportées et des réparations faites à l’intérieur. En 1822, Fovis, architecte adjoint des bâtiments civils, propose de réaménager les espaces. Il envisage notamment de transformer la salle de concert en grand foyer, afin de créer un espace adapté pour accueillir le public nombreux. « Bien des personnes ne se rendent au spectacle que pour traiter des affaires de commerce » et perturbent les représentations par leurs conversations. Le théâtre a surtout besoin "d’un bon coup de peinture" pour remédier à son état de délabrement. « La couleur bleue est préférable à toutes les autres par rapport aux dames ; elle est moins crue ».

Voir l'image en grand Archives municipales Ville de Montpellier, R2/8 (2A) Coupe de la salle de concert par l’architecte Fovis, 1822

Au cœur de la Restauration, le bleu est bien la couleur du moment, celle du blason aux fleurs de lys de la royauté représenté avec les armes de la Navarre au-dessus de la scène. Enfin, Fovis a l’idée d’installer un lustre en cristal monumental au centre de la salle, haut de 3,30 m. sur 1,80 m. de diamètre, garni de 36 lampes, projet validé en 1824 par le préfet Creuzé de Lesser, qui augmentera la majesté du lieu.

Pour en savoir plus :
-Pierre Jourda, Le Théâtre à Montpellier 1755-1851, Oxford, Voltaire Foundation, 2001.
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Caroline Millot, « La salle de spectacle et de concert de Montpellier au Siècle des Lumières (1753-1785) : une œuvre de l’ingénieur Jacques-Philippe Mareschal », Bulletin historique de la Ville de Montpellier, n°35, 2013, p. 62-77.
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Jean Nougaret, Montpellier monumental, Tome 1, Paris, Monum, 2004.

Mars : Le Journal du Théâtre d’Adolphe Gilles (1835-1908)

Voir l'image en grand Journal du Théâtre, Cahier 1907-1908, AMM, 9S18, couverture

Le 5 février 1908, disparaissait à l’âge de 72 ans Adolphe Achille Gilles, musicien et second violon à l’orchestre du théâtre de Montpellier. Il est l’auteur d’une série de dix-neuf volumes manuscrits, le Journal du Théâtre, décrivant par le menu la vie musicale et théâtrale dans le chef-lieu du département de l’Hérault entre 1790 et 1908. Ce document, unique en son genre, est conservé aux Archives municipales (sous-série 9 S). La collection se compose de neuf registres et de dix cahiers qui s’interrompent quelques jours avant la mort de Gilles. L’histoire du théâtre se répartit de manière très inégale sur les volumes : les premiers registres sont consacrés à 90 années, puis 10, 6, 3 et 2 ans, tandis que les derniers cahiers  couvrent entre 1902 à 1908 une seule saison chacun. Un dernier volume récapitule les listes des directeurs, chanteurs, musiciens et des créations lyriques depuis 1790. Les informations sont classées par direction ou « entreprise » théâtrale, les directeurs changeant généralement à chaque saison. On trouve le tableau de la troupe constituée pour l’année, les titres des pièces jouées, la distribution des rôles, ainsi que des événements liés à l’histoire du théâtre ou qui se sont déroulés pendant les représentations. Au-delà de la richesse de son contenu, le Journal du Théâtre est exceptionnel car entièrement décoré à la gouache.

Voir l'image en grand Journal du Théâtre, 1889-1892, AMM, 9S5, p. 214-215

Chaque page est ornée d’un liseré rouge et des motifs géométriques viennent rythmer les parties et sous-parties du récit de Gilles. Il colle dès que cela est possible les prospectus, affiches, articles de presse et parfois photographies d’artistes pour étayer son discours. Les photographies d’artistes sont rares à Montpellier. Leur présence dans la collection vient enrichir la documentation sur les représentations théâtrale et les costumes employés.On peut qualifier Gilles de très méthodique. Il numérote chaque représentation afin de pouvoir dresser des statistiques (relevé exact des artistes, nombre de fois où le théâtre provisoire a ouvert ses portes, titres des pièces joués avec le nombre de représentations, etc.). Il met en place son propre code couleur pour distinguer les types de représentation : bleu pour les représentations à moitié prix, rouge pour les représentations populaire, le drapeau français pour indiquer les représentations au bénéfice des pauvres.

Le Journal du Théâtre est par conséquent une source essentielle pour la connaissance du théâtre de Montpellier dans un large XIXe siècle. Nous retrouverons Gilles à d’autres moments de l’année. En raison de sa fragilité, cet ensemble a été numérisé. Accéder au fonds Gilles 9S

Pour en savoir plus :

-
Clémence Segalas, « Le manuscrit "Gilles" des archives municipales de Montpellier »
- Patrick Taïeb et Agnès Terrier (dir.), La notion d'emploi dans l'art lyrique françaisà paraître en ligne

110 ans de la recréation à Montpellier de l’opéra Castor et Pollux de J.P Rameau

Voir l'image en grand Journal du Théâtre, Cahier 1907-1908, AMM, 9S18, p. 112-113

Le dernier cahier de la collection se clôt par la représentation les 23, 25 et 26 janvier 1908 de Castor et Pollux, tragédie-lyrique de Jean-Philippe Rameau, « le plus grand succès de l’opéra français au XVIIIe siècle », donné « pour la première fois en France depuis cent ans ». La production d’une rareté du répertoire et la venue à Montpellier d’une grande chanteuse de Paris, la soprano Georgette Leblanc, font de Castor et Pollux le moment fort de la saison 1907-1908. On doit la recréation de ce chef d’œuvre de Rameau à Charles Bordes (1863-1909), compositeur, élève de César Franck, fondateur de la société chorale les Chanteurs de Saint-Gervais et de la société de musique sacrée la Schola Cantorum à Paris.

Voir l'image en grand Enseigne de la Schola de Montpellier place Saint-Ravy

Charles Bordes a œuvré brillamment à la collecte de chants de tradition orale et à la redécouverte de la musique ancienne (médiévale, Renaissance et baroque). Retiré à Montpellier pour raisons de santé, il fonde la Schola de Montpellier en novembre 1905, dont on voit encore l’enseigne en céramique place Saint-Ravy. Il organise dans cette ville en juin 1906 un important Congrès du chant populaire, sous la présidence conjointe de Mgr de Cabrières et de Frédéric Mistral, auquel participèrent notamment la cantatrice Emma Calvé, la claveciniste Wanda Landowska ou les compositeurs Déodat de Séverac, Paul Lacombe et Joseph Canteloube. Déjà une pièce de Rameau est jouée à cette occasion, La Guirlande, pastorale-ballet, représentée dans les jardins du Mas d’Haguenot à Figuerolles baptisés depuis « Parc de la Guirlande ». La recréation de Castor et Pollux à Montpellier en 1908 constitue un événement musical comparable à la recréation de l’opéra Atys de Lully en 1987, dont l’Opéra de Montpellier fut le partenaire à l’époque. Ce fut cependant l’unique collaboration entre les équipes du Théâtre municipal et de la Schola de Montpellier, Charles Bordes étant décédé l’année suivante.

A écouter :
- Jean-Philippe Rameau, Castor et Pollux, Ensemble Pygmalion, Raphaël Pichon (dir.), Harmonia Mundi, 2015, enregistré au Corum de Montpellier dans le cadre du Festival Radio-France Montpellier Occitanie en 2014
Pour en savoir plus sur Charles Bordes à Montpellier :

- Sabine Teulon-Lardic, « Vous avez dit populaire ? : Le Congrès du chant de Montpellier (1906) », Journées Charles Bordes, 2016, p. 10-15,

Avril : 150 ans de la naissance d’Auguste Bosc (1868-1945)

Voir l'image en grand Portrait d’Auguste Bosc, carte postale, AMM, 6Fi891Compositeur, chef d'orchestre, éditeur musical, Auguste Bosc fut l’une des personnalités les plus importantes en France à la Belle Epoque dans le domaine de la musique populaire. Figure de Montmartre, il dirigea autour de 1900 les orchestres de plusieurs célèbres cabarets parisiens, avant de fonder son propre établissement.
Auguste Georges Bosc voit le jour le 23 avril 1868 à Montpellier, rue de la Valfère, dans un milieu de petits artisans et commerçants. Son père, Paulin Bosc, coiffeur de son état, sollicite en 1884 auprès de la Municipalité une bourse pour lui permettre de suivre les cours de violon du Conservatoire national de musique de Paris, avec les recommandations d’Armand Granier, chef de l’orchestre du Théâtre municipal, qui le juge doué des aptitudes à devenir un « excellent artiste ». Débouté une première fois, sa persévérance est récompensée et son fils entre ainsi à seize ans au Conservatoire avec une bourse de 1200 francs par an durant trois ans.
Après de brillantes études, Auguste Bosc entame une carrière parisienne de chef d’orchestre. Il dirige d’abord les ensembles des premiers Salons de l'automobile, de la Galerie des machines et des grands bals et galas de l'Opéra. Puis, il s'oriente vers la musique légère avec succès. Compositeur à la mode, on lui doit notamment La Valse Rose-Mousse et La Marche des Petits Pierrots. Il dirige successivement les orchestres de l'Élysée Montmartre et du Moulin de la Galette, avec lesquels il acquiert une solide réputation de chef. En outre, avec le développement du phonographe après 1900, il enregistre de nombreux disques.
En 1904, il fonde le bal Tabarin, situé rue Victor-Massé, à l’angle de la rue Pigalle, au pied de la butte Montmartre. Ce cabaret d’un nouveau genre, précurseur des dancings et autres music-halls, propose un bal aux musiques débridées, et également une revue à grand spectacle. Le Tout-Paris s’y presse. Après l’incendie du Moulin Rouge en 1915, le Tabarin prend le relais pour le French cancan. Auguste Bosc abandonne la direction de son établissement en 1928. Il est fait chevalier de la Légion d’Honneur en 1936. Il décède le 6 octobre 1945 à Montpellier et est inhumé au cimetière Saint-Lazare.

Voir l'image en grand Dessin préparatoire aquarellé de Marcel Bernard Le kiosque de l’Esplanade, 1927. AMM, série M, non cotéSi on a oublié aujourd’hui l’auteur de chansonnettes, son nom reste attaché à Montpellier au kiosque Bosc. En 1926, désireux de prouver sa reconnaissance à sa ville natale qu’il considérait comme le promoteur de sa réussite, il se propose d’édifier à ses frais un kiosque-théâtre en bordure de l’Esplanade. Le projet est accepté par la Municipalité. Sa réalisation est confiée à l’architecte moderniste Marcel Bernard (1894-1981), alors au début de sa carrière. Par ce choix ambitieux d’un jeune architecte, privilégiant le geste architectural sur la tradition et mettant en valeur un matériau nouveau, le béton, Bosc frappe une fois encore les esprits. En effet, comme l’écrit Jean Nougaret, l’édicule, en béton armé, brut, un des tous premiers de la ville, « rompt délibérément avec la traditionnelle structure métallique en pavillon des kiosques à musique du XIXe siècle ». Avec sa dalle de couverture largement débordante, soutenue par quatre fines colonnes, le kiosque de l’Esplanade ne laisse pas indifférent, suscitant les éloges de la critique. Lors de l’inauguration, le 1er mai 1927, Auguste Bosc dirige lui-même un concert devant « plus de 30 000 personnes » (sic) selon Le Petit méridional. Pour l’anecdote, en 1884, alors qu’il délibérait sur l’attribution de la bourse au Conservatoire en faveur de Bosc, le Conseil municipal discutait déjà d’un projet de kiosque-abri pour la musique sur l’Esplanade, projet abandonné à l’époque et remplacé par celui d’une estrade mobile. Plus de 40 ans après, Auguste Bosc, par sa générosité, répondait avec la construction de ce kiosque à l’attente culturelle des Montpelliérains.

Bibliographie :

Jean-Paul Caracalla, Montmartre, Gens et légendes, Paris, La Table Ronde, 2017.
Jean Nougaret, Montpellier monumental, Tome II, Paris, Centre des monuments nationaux Monum, Editions du patrimoine, 2015.
Sources :
AMM, 3D7, Bulletin municipal, 1884.

Mai : L'incendie de l'ancienne Salle de Spectacle, 5-6 avril 1881

Voir l'image en grand Archives municipales Ville de Montpellier, 37S79_10 Le théâtre au lendemain de l’incendie, photographie, 1881, AMM, 37S79Dans la nuit du 5 au 6 avril 1881, un terrible incendie ravage le théâtre municipal. Ce soir-là, était donné Hamlet, grand opéra en 5 actes d’Ambroise Thomas d’après l’œuvre de Shakespeare. L’incendie s’est déclaré vers minuit, peu après la fin de la représentation. Spectateurs, artistes et employés avaient quitté le théâtre ; des passants dans la rue donnèrent l’alerte. Rien d’anormal n’avait été remarqué à la fermeture. Le feu prit dans le magasin de décors au 3e étage, à l’arrière du théâtre, et s’étendit vite à tout le bâtiment, attisé par un vent violent. D’après Le Petit Méridional du 7 avril 1881, c’était « un spectacle à la fois grandiose et effrayant », tant les flammes s’élevaient dans la nuit et illuminaient la ville. Les pompiers firent en sorte que le feu ne s’étende pas aux immeubles voisins, mais ne purent sauver l’édifice. Deux d’entre eux furent blessés, ce furent les seules victimes. Grâce à leur courage et à l’assistance de militaires et de civils, ils purent évacuer le magasin de costumes, la bibliothèque de partitions et les tableaux destinés à l’exposition des Beaux-Arts programmée les jours suivants dans la salle des concerts.

Le lendemain matin, les badauds se pressent malgré la pluie sur la place de la Comédie devant les ruines encore fumantes du théâtre. La photographie, conservée dans l’album de Jean Louvrier (1870-1926), montre la fin de l’intervention des pompiers. Une équipe est toujours à pied d’œuvre, tandis qu’une autre charrette arrive sur les lieux du sinistre. Sur la droite, on aperçoit deux charrettes et une pompe. Sur la gauche, on distingue une échelle posée contre la fenêtre ; un pompier à mi-hauteur tient le tuyau ; deux autres sont au balcon en train d’éteindre les dernières braises. Gilles note dans son Journal : « Tout est entièrement brûlé. Il ne reste que les quatre murs. Le feu a été des plus violents et des plus rapides ». La saison théâtrale est interrompue. Tout est à reconstruire. L’enquête ne put déterminer les raisons exactes de cet incendie.

Le Théâtre municipal provisoire

Voir l'image en grand Plan du Théâtre municipal provisoire par Léopold Carlier, 1882, AMM, M4/7Avec la destruction du théâtre, les Montpelliérains sont privés de spectacles lyriques pendant presque deux ans. 500 personnes, environ, dont le directeur de la chorale de Montpellier, des étudiants de la Faculté de droit et de l’Ecole de médecine, adressent une pétition à la municipalité afin de créer un théâtre provisoire. Sur proposition de M. Matte, le Conseil municipal adopte le 19 juin 1882 la création d’un théâtre provisoire dans l’attente de l’ouverture du futur théâtre municipal. Un appel à projet est lancé à compter du 23 juillet suivant. Le projet de l’entrepreneur de théâtre Mercurin est choisi. Les plans sont confiés à l’architecte Léopold Carlier. Un temps envisagé au centre de l’Esplanade, on décide finalement que le théâtre provisoire se situera en retrait sur le Champ de Mars, sur un terrain d’exercice du service militaire, en échange d’avantages pour les hommes de la garnison. Dès le départ, les travaux de terrassement du Champ de Mars qui devaient commencer début septembre prennent du retard, en raison des formalités avec l’administration militaire. Contraint par les délais, le théâtre est construit en deux mois seulement. Les travaux sont terminés en décembre 1882 et le théâtre provisoire est inauguré le samedi 13 janvier 1883 avec Les Mousquetaires de la Reine, opéra-comique de Fromental Halévy. La vie musicale et théâtrale reprend son cours.
Léopold Carlier (1839-1922) signe un édifice mêlant style colonial et style néo Renaissance, avec une couverture en tuiles romaines à l’antique décorée au-devant d’antéfixes moulés. Il reprendra d’ailleurs certaines idées architecturales pour le Pavillon Populaire voisin construit en 1891 pour abriter le Cercle des étudiants. Le bâtiment de briques reposait sur une assise en béton et un châssis en bois. De belles dimensions, il atteignait 52 mètres de longueur et 29 mètres de largeur. Sur l’aile gauche, se trouvait le café. Il comprenait un rez-de-chaussée, deux galeries et un amphithéâtre. La salle de spectacle avait 22 mètres de profondeur et pouvait accueillir 1800 spectateurs. Le théâtre provisoire servit jusqu’en 1889, avant d’être détruit lui aussi par un incendie le 6 août 1889.

Juin : Pour un nouveau théâtre municipal !

Voir l'image en grand Le projet "Grétry", dessin à l’aquarelle, 1881, AMM, 3Fi9A la suite de l’incendie, le Conseil municipal décide le 24 mai 1881 de construire un nouveau théâtre au même endroit et en l’agrandissant. En juillet, un concours est lancé pour sa réalisation. Le cahier des charges exige entre autres une entrée de scène pour les chevaux et précise le nombre de loges. Le Conseil municipal fait appel à plusieurs personnalités pour former le jury. Celui-ci est présidé par Alexandre Laissac, maire de Montpellier, et se compose de quatre conseillers municipaux, de Charles Garnier (le célèbre architecte de l’Opéra de Paris), de l’architecte de la ville de Marseille, de deux architectes montpelliérains et du conservateur du musée de Montpellier. Le concours est anonyme : les architectes doivent envoyer des projets signés d’une devise et joindre leur nom dans une enveloppe scellée portant la devise. Treize projets sont proposés. Le 5 décembre 1881, le jury donne le classement du concours. Le premier prix revient au projet Nourri dans le sérail de Cassien-Bernard, avec une prime de 6000 francs, le deuxième prix à Goutès (projet Id me juvat), avec une prime de 4000 francs, et le troisième prix à Feuchère et Arnaud (projet Grétry), avec une prime de 2000 francs. Du 7 au 12 décembre 1881, les plans des différents projets sont exposés dans la grande salle du Musée Fabre.
Les Archives municipales ont conservé les plans du projet soumis par le duo d’architectes nîmois Lucien-François Feuchère et Gustave Arnaud. Ce projet est dédié à André Grétry (1741-1813), le compositeur d’opéra le plus important de la fin du XVIIIe siècle en France.  Comme le lauréat Cassien-Bernard, les architectes se sont inspirés de l’Opéra de Paris créé par Charles Garnier, inauguré peu de temps auparavant en 1875. L’influence de Garnier est ici flagrante sur l’aspect extérieur de l’édifice, tandis que Cassien-Bernard, plus subtil, s’inspire de l’Opéra de Paris pour l’aménagement intérieur et reprend le rythme ternaire de la façade de l’Opéra de Monte-Carlo, toujours de Garnier (1879), avec ses trois grandes baies ajourées au centre. L’ordonnance de la façade, la rotonde et la toiture triangulaire de la scène surmontée d’une lyre etc., les points de ressemblance avec l’Opéra de Paris sont multiples. Ainsi, le projet de Cassien-Bernard est préféré au projet Grétry, jugé peut-être trop proche de son modèle.

Le Grand Théâtre de Cassien-Bernard

Voir l'image en grand Le Grand Théâtre municipal par Cassien-Bernard, gravure, 1884, AMM, 3Fi95Joseph Marie Cassien-Bernard (1849-1926), originaire de la région grenobloise, a étudié l’architecture aux Beaux-Arts de Lyon, puis entre en 1869 à l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts à Paris sous la direction de Jean-Louis Pascal. Par l’intermédiaire de son maître, inspecteur des travaux de l’Opéra de Paris, il devient à partir de 1871 dessinateur à l’agence de l’Opéra auprès de Charles Garnier. Il obtient en 1876 le premier Second Prix de Rome. Nommé inspecteur aux Bâtiments civils et palais nationaux en 1879 (inspecteur des travaux de l’Etat), il continue à travailler sous les ordres de Garnier comme inspecteur de l’Opéra. En tant qu’architecte, il est alors au début de sa carrière. La reconstruction du théâtre de Montpellier en 1881 est son premier chantier d’envergure, en même temps qu’il remporte le concours pour l’édification de la Banque nationale de Roumanie à Bucarest en 1882. On doit notamment à Cassien-Bernard le pont Alexandre III (1897-1900) et il succède à Guimard en 1904 pour l’aménagement des stations de métro de Paris. Au-delà du strict aspect architectural qui, on l’a vu, doit beaucoup à Garnier, la grande innovation du projet de Cassien-Bernard réside dans le choix de l’énergie électrique pour l’éclairage intérieur. Dans une lettre du 27 février 1882, il propose au Conseil municipal d’installer l’électricité afin de limiter les risques d’incendie. En janvier 1888, après avoir bien étudié le sujet, le Conseil municipal accepte cette idée. La proposition de la Compagnie parisienne de l’air comprimé de l’ingénieur Victor Popp est adoptée. Son système de production de lumière électrique par moteurs à air comprimé équipe déjà à la même époque deux théâtres parisiens, des cafés de la capitale, l’hôtel Meurice ou les locaux du journal Le Figaro. Une usine produisant de l’air comprimé à partir d’une machine à vapeur est implantée impasse du Jeu-de-Ballon afin d’alimenter les 239 lampes installées dans le théâtre. Séduit par cette nouvelle forme d’énergie, le Conseil municipal décide de l’étendre aux rues avoisinantes puis à la ville entière. Le théâtre entre dans la modernité et inaugure l’électrification de Montpellier.

Juillet : Un chantier sans cesse différé 1882-1884

Voir l'image en grand Extrait du plan de la ville de Montpellier par Amelin, 1853, AMM, 2Fi191 Implantation du Grand Théâtre municipalAvant de lancer les travaux de reconstruction du nouveau théâtre, la Municipalité doit procéder d’abord à l’acquisition de gré à gré ou à l’expropriation des deux îlots d’habitation adjacents nécessaires à son agrandissement, compris entre la place, les rues des Etuves, Richelieu et Hôtel-du-Midi. Le dégagement de ce vaste emplacement doit permettre de reconfigurer complètement la situation de l’édifice. L’orientation de la façade sera modifiée, de manière à former un angle droit avec l’alignement des maisons de la rue des Etuves. Le bâtiment sera bordé par deux larges voies parallèles qui mettront en valeur sa façade et traceront la perspective de la future grande place de la Comédie. A l’arrière, la place Richelieu (aujourd’hui place Molière) est également repensée tout en longueur. La procédure d’expulsion n’aboutit qu’à l’automne 1883, retardant le début des travaux. L’ancien théâtre en ruine et les immeubles voisins sont démolis début mars 1884, et le chantier se met progressivement en place au printemps.

Entretemps, en avril 1882, le dossier du Grand Théâtre municipal est transmis au ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts qui l’accepte au mois de mai. Le 10 mai 1882, Cassien-Bernard signe un devis estimatif des dépenses des travaux de 2 028 400 francs, sachant que son salaire est calculé sur 4% de la somme totale. Le montant s’élèvera finalement à 3 356 850 francs, dont 850 000 francs rien que pour l’acquisition des immeubles voisins. En échange, Cassien-Bernard s’engage à réaliser les plans, demander les devis, diriger les travaux, les vérifier, payer les ouvriers, rédiger les mémoires… Ainsi, entre juillet 1883 et octobre 1885, Cassien-Bernard dresse les plans d’exécution complets de l’édifice, 49 planches de grand format reliées dans deux atlas conservés aux Archives municipales (1Fi11 et 12). Le 14 juillet 1884, le maire Alexandre Laissac pose de la première pierre du Grand Théâtre municipal. Comme le veut la tradition, un procès-verbal de la cérémonie est rédigé sur un parchemin et signé par toutes les autorités civiles et militaires présentes. Ce document est ensuite déposé dans une cassette en plomb avec plusieurs pièces de monnaie de l’époque. La cassette est scellée et placée sous la première pierre. Cette date est fortement symbolique puisqu’elle célèbre la Fête nationale et la nouvelle autonomie municipale. Trois ans après l’incendie, nous sommes au début de quatre années de travaux ponctués par les démêlés entre l’architecte Cassien-Bernard et la Mairie de Montpellier.

Voir l'image en grand Atlas des plans d'exécution, façade du théâtre, 1884. AMM, 1Fi12, planche 5

Sources :
Atlas de Cassien-Bernard, volume 1, 1Fi12

Atlas de Cassien-Bernard, volume 2, 1Fi11

L’élévation de l’édifice 1884-1888

Le chantier du nouveau théâtre mobilise pendant quatre ans une centaine d’ouvriers issus de divers corps de métiers : tailleurs de pierre, serruriers, charpentiers, peintres, marbriers, mosaïstes, doreurs, vitriers, miroitiers… Cassien-Bernard s’était engagé à vivre à Montpellier, avec la possibilité de se faire remplacer par un collaborateur seulement les jours où il n’était pas indispensable. Or, dès 1884, Cassien-Bernard, pris par ses autres responsabilités, confie la conduite des travaux sur place à son collègue A. Sassua, architecte qu’il fait venir de Paris et qui avait pris part aux études préparatoires du projet. Fin août 1884, les fondations sont achevées. Du côté du boulevard de la Comédie, elles atteignent 14 mètres de profondeur, du fait de la charge importante que devront supporter les murs. A l’automne 1885, le théâtre est arrivé à hauteur du premier étage. Mais, les relations entre l’architecte et la Municipalité se détériorent rapidement. Dès octobre 1885, la Commission des Travaux publics s’alarme du dépassement excessif des dépenses par rapport au budget prévisionnel. Cassien-Bernard modifie sans cesse les choix des fournitures et des matériaux. Ainsi, a-t-il obtenu l’autorisation verbale du Maire de remplacer, pour l’assise du bâtiment, la pierre de taille de la carrière des Vautes à Saint-Gély-du-Fesc par de la pierre froide de Ruoms (Ardèche), de meilleur effet, entraînant un surcoût imprévu de 47 500 francs, ce qui échaude le Conseil municipal. Cassien-Bernard est critiqué, car il est incapable de fournir un devis détaillé et de chiffrer correctement les dépenses. En outre, il sollicite presque exclusivement des entrepreneurs parisiens. Le Conseil municipal décide alors de reprendre la main sur les appels d’offre en privilégiant artistes et entrepreneurs locaux pour l’aménagement du théâtre, et il demande à Cassien-Bernard de lui fournir les plans et détails des travaux à exécuter, avec descriptif, cahier des charges et modèles. Au même moment, le Conseil municipal décide d’installer les locaux du Conservatoire de musique que la Ville a décidé de créer, au 2e étage, au-dessus de la salle des concerts, à l’arrière de l’édifice.

Voir l'image en grand Publiée dans le catalogue de l’exposition Opéras et Comédies, BHVM n°30 Le théâtre en construction, photographie vers 1886

Il apparaît très vite évident au Conseil municipal que Cassien-Bernard a sous-estimé son avant-projet pour le concours. Etant donné que l’emprunt de la Ville a été calculé en fonction de cette somme, les devis doivent être modifiés par la Commission des Travaux pour rester financièrement dans les clous et nombre des projets de l’architecte abandonnés ou revus à l’économie. Alors que les travaux d’aménagement intérieur sont sur le point de commencer, le Conseil municipal vote en avril 1887 une rallonge budgétaire de 100 000 francs pour les décors non prévus dans le devis de construction. Néanmoins, la situation devient intenable. Cassien-Bernard oppose de la résistance aux décisions du Conseil et méprise son représentant Sassua, impuissant à gérer le chantier sur place, ce qui occasionne du retard dans les travaux. La Municipalité ordonne alors en février 1887 à Cassien-Bernard de venir s’établir à Montpellier pour suivre le chantier, et pour mieux faire pression, suspend le paiement de ses honoraires. Venu à Montpellier le 22 mars suivant, Cassien-Bernard repart aussitôt à Paris, emportant avec lui les plans d’exécution, dessins, devis révisés, lettres et contrats, interrompant ainsi la bonne marche des travaux. On tente au printemps une ultime conciliation. Finalement, le 4 juillet 1887, Cassien-Bernard, présent en personne en séance du Conseil municipal, accepte de fournir régulièrement les plans et dessins nécessaires, et donne à Sassua les pleins pouvoirs pour terminer le théâtre. L’affaire se solde toutefois par un procès, porté devant le Conseil d’Etat. Par arrêt du 26 décembre 1891, la Ville devra lui régler le montant de ses honoraires.

Sources :
AMM, 3D, Bulletin municipal, 1884-1887

Août : Le décor extérieur des façades (Baussan, Avinaud, Jullian, Coste)

Voir l'image en grand Façade du théâtre, les écoinçons, 1884. AMM, 1Fi12, Atlas des plans d'exécution, planche 5, détail

Cassien-Bernard imagine une profusion ornementale sur les façades du théâtre, en particulier sur la façade principale donnant sur la place de la Comédie. Ne regardant pas à la dépense, il compte sur la libéralité du Ministère des Beaux-Arts pour prendre en charge financièrement la statuaire monumentale et faire passer ainsi auprès de la Municipalité ses fantaisies artistiques. D’après le devis de décembre 1886 et les plans du projet de 1884, il prévoit que le registre supérieur sera orné au centre de deux Renommées couronnant le motif de l’horloge, et que de part et d’autre, la corniche sera surmontée de quatre figures allégoriques plutôt dénudées (le Chant, la Poésie, la Tragédie et la Comédie). Au centre, il prévoit encore six autres figures allégoriques tenant des instruments de musique sculptées en haut-relief aux écoinçons des grandes baies cintrées, tandis qu’au-dessus de chaque fenêtre latérale en arrière-corps, un génie timbalier répondrait aux cartouches Comédie et Tragédie.

Voir l'image en grand AMM, 1Fi12, Atlas des plans d'exécution, planche 5, détail Façade du théâtre, les génies timbaliers, 1884

En revanche, il abandonne l’idée de placer deux grandes statues de la Poésie et du Théâtre entre les colonnes du premier étage. Dans un deuxième temps, Cassien-Bernard propose de placer au rez-de-chaussée, à chaque extrémité, dans les ouvertures latérales aménagées en baies aveugles, deux figures d’adolescents en bronze représentant la Musique et la Danse. Cependant, seuls les piédestaux prévus furent construits et les deux statues jamais réalisées. Les niches alors inoccupées furent percées en portes d’accès au café et au restaurant quelques années plus tard, après ajout d’un perron donnant sur la place. Soucieux d’avantager les patrons sculpteurs de la ville, le Conseil municipal confie en janvier 1887 l’exécution des sculptures sur pierre des façades extérieures (mascarons, claveaux et clés, bossages, encadrement des fenêtres, balcons, consoles, frises, pilastres, chapiteaux, vases, rosaces, etc.) à un quatuor d’artistes montpelliérains : à Auguste Baussan la façade principale, à Raymond Coste la façade du boulevard de la Comédie (actuel boulevard Victor-Hugo), à Arthur Jullian la façade de la rue des Etuves, et à Alfred Avinaud la façade arrière (place Molière). Auguste Baussan (1829-1907), professeur à l’école des Beaux-Arts, est de loin le plus connu et le plus talentueux des quatre. Son forfait comprend outre la « sculpture décorative » la « sculpture artistique » de la façade principale, à savoir les figures des écoinçons et les génies timbaliers, remaniés en amours, mais Cassien-Bernard exige que les modèles soient exécutés sous sa direction à Paris. Pour les façades postérieures et latérales, Avinaud, Coste et Jullian œuvrent sous la direction de Baussan, se conformant aux modèles réalisés à l’avance par les sculpteurs parisiens Alfred Darvant, qui avait travaillé à la décoration de l’Opéra de Paris, et Abel Poulin, qui retravaillera plus tard avec Cassien-Bernard pour le pont Alexandre III. Les artistes montpelliérains n’eurent donc aucune liberté de création sur ce chantier. On retrouve le même quatuor pour l’ornementation intérieure : Baussan pour le grand escalier, Avinaud et Jullian pour le soubassement du grand escalier et le vestibule, Coste pour les grands et petits vestibules.

Le motif de l’horloge et la grande statuaire par Antonin Injalbert

Voir l'image en grand Le motif de l’horloge par Injalbert, plan calque, 1887. AMM, M4/7 (9)

Dès le mois d’avril 1886, Cassien-Bernard prend l’initiative personnelle de confier à Jean-Antoine Injalbert (1845-1933) l’esquisse du motif de l’horloge. Originaire de Béziers, prix de Rome en 1874, Injalbert commence à avoir une solide réputation. Il est déjà l’auteur à Montpellier des deux Lions du Peyrou en 1883. Sous prétexte de « favoriser les artistes de la région », Cassien-Bernard met la Municipalité devant le fait accompli. En outre, en plus des deux figures ailées et du cartouche encadrant l’horloge, la commande comprend un socle orné de deux grandes guirlandes de fleurs et de fruits et de deux grands mascarons représentant la Tragédie et la Comédie, non prévu dans le devis initial, soit une composition de 6 m de long sur 4 m de haut. En mai 1887, malgré certaines réserves par crainte de dépassement des crédits, le Conseil municipal valide la proposition d’Injalbert pour la sculpture du motif de l’horloge au prix de 15 000 francs, y compris la trompette en bronze de la Renommée. Le projet, réalisé à l’encre, propose de faire présenter l’horloge par deux Renommées tenant chacune un flambeau, qui symbolisent l’une la musique en jouant de la trompette, l’autre la poésie en déclamant. L’horloge est coiffée d’une couronne crénelée symbolisant la ville. Le 25 mai 1888, les sculptures d’Injalbert sont dévoilées au public.

Voir l'image en grand AMM, 1Fi12, Atlas des plans d'exécution, planche 5, détail Façade du théâtre, la corniche, 1884

 

A quelques semaines à peine de l’inauguration officielle, le Conseil municipal vote en juillet 1888 les crédits pour compléter le motif de l’horloge et réaliser les quatre figures isolées qui doivent couronner la façade du Grand Théâtre. Ces statues doivent prendre place sur la balustrade sommitale et sont « indispensables pour le bon effet décoratif de la façade ». Derechef, c’est à Injalbert qu’est passée commande. Deux des figures sont données par l’Etat, les deux autres à charge de la Ville, payées 9000 francs. La pierre provient de la carrière des Estaillades en Provence, comme celle du motif de l’horloge. Les statues sont installées sur la façade du théâtre en novembre 1890. Se démarquant légèrement du programme initial, les figures représentent de gauche à droite : la Déclamation, la Muse lyrique, la Comédie et la Danse. Ayant pu admirer son œuvre, Injalbert écrit au maire Alexandre Laissac en février 1891 : « Je suis heureux de pouvoir vous dire que j’ai été bien inspiré en prenant sur moi de donner à leurs proportions 0,25 cm de plus que ne le comporte le plan de l’architecte. Je leur ai donné 2 m. 50 au lieu de 2 m. 25 de hauteur. J’ajouterai qu’il m’était difficile de leur donner davantage, en étant empêché par les proportions même des piédestaux que je ne pouvais pas dépasser. Du reste leur effet me parait bon, attendu qu’elles sont elles-mêmes la continuation des colonnes, en même temps que leur couronnement ». Les statues ont été déposées de la façade du théâtre à la fin des années 1940 et n’ont jamais été remises en place depuis.

Sources :
AMM, 3D13, Bulletin municipal, 1887
AMM, M4/7 (9), théâtre, sculptures, marbres, mosaïques, 1884-1891

Septembre : L’aménagement intérieur du Grand Théâtre

Voir l'image en grand AMM, 1Fi12, planche 11 Atlas des plans d'exécution, grande salle du théâtre, détail, 1884Pour l’intérieur du théâtre, le projet de Cassien-Bernard accorde une place importante au décor peint. Ainsi, le devis de décembre 1886, rien que pour la partie peinture décorative à la détrempe, s’élève à 64 500 francs. Il comprend principalement le décor de la grande salle de spectacle : le rideau d’avant-scène et son lambrequin ; le plafond dans le style rococo de Tiepolo représentant du côté de la scène « la ville de Montpellier sous la figure d’une femme debout sur les degrés du temple de la Gloire appelant à elle les poètes, les littérateurs et les musiciens » et sur les autres côtés « les danses du Languedoc, la danse du chevalet, la danse de la treille, jeux floraux, farandoles, etc. » ;  quatre motifs en pendentifs consistant en « deux génies soutenant un écusson où sera inscrit le nom d’un poète ou d’un musicien du Languedoc » ; trois plafonds en pénétration au-dessus des amphithéâtres composés d’instruments de musique ; les ornements des balcons et les frises des galeries. C’est le peintre marseillais Jean-Baptiste Arnaud-Durbec (1827-1910) qui est choisi pour la réalisation du plafond circulaire. Pour le reste, le Conseil municipal accepte la proposition d’Edouard Lefèvre de Montpellier qui sollicite l’exécution des travaux de peinture ainsi que du décor en plâtre mouluré par le nouveau procédé staff, beaucoup moins coûteux que le stuc traditionnel.


Voir l'image en grand AMM, M4/7 (9) Modèle des mosaïques du grand escalier, plan bleu, 1888
C’est surtout sur les travaux de marbrerie et de mosaïque que le Conseil municipal va chercher à faire des économies. S’il conserve le grand escalier de marbre, il décide d’abandonner le projet de décor en mosaïque sur fond or des voûtes d’arêtes du grand escalier, remplacé par de la simple peinture décorative. Ne sont gardés que les mascarons sur fond or placés dans les oculi des pavillons latéraux et les quatre motifs d’angle de la cage d’escalier aux armes de la ville ornées d’instruments de musique. De même pour la mosaïque de dallage, on opte partout pour de la mosaïque ordinaire avec bordure et filet, sans fioriture, excepté pour le palier du grand escalier orné de mosaïque de marbre à la romaine avec grecques, entrelacs et masques tragiques au centre. En février 1888, la marbrerie est confiée à l’entreprise Gauffre et Blaquière de Montpellier, tandis que Morra de Nîmes et Pellarin de Montpellier se chargent des mosaïques.
En septembre 1887, la maison Diosse et Fils de Lyon est adjudicataire des travaux d’ameublement du théâtre. Elle confectionnera notamment les sièges, portes bourrées, tentures et tapisseries de la salle de spectacle. En revanche, Diosse n’obtient pas le marché de la machinerie qui revient à Laborde de Montpellier, et accuse injustement son concurrent de favoritisme. Le Conseil municipal lève les soupçons d’irrégularité et Laborde construira bien la scène du théâtre. Quant au rideau, il sera composé d’une partie métallique fixe (réalisée par la maison Roussel) afin de pouvoir accrocher le rideau décoratif du côté de la salle (peint par Lefèvre), et d’une partie en toile d’amiante complètement incombustible du côté de la scène (fournie par la maison Bruant). Enfin, signalons que les grandes verrières de la façade étaient à l’origine garnies de vitraux losangés colorés, réalisés par la maison Veuve Charles Champigneulle de Nancy, qui diffusaient une lumière adoucie dans le grand foyer et les petits salons adjacents.

Les peintures du Grand foyer et de l’escalier d’honneur par Ernest Michel

Voir l'image en grand Atlas des plans d'exécution, grand foyer du théâtre, détail, 1884. AMM, 1Fi12, planche 16

La partie artistique de la peinture (huile sur toile marouflée), la plus prestigieuse, est divisée en deux lots : d’une part les motifs des coupoles du grand escalier et le plafond du grand foyer, et d’autre part les huit muses qui doivent orner le grand foyer. Le premier lot est confié d’office à Ernest Michel (1833-1902), peintre d’histoire, grand prix de Rome en 1860, conservateur du Musée Fabre de 1871 à sa mort, et directeur de l’Ecole régionale des Beaux-Arts, considéré à l’époque comme l’artiste le plus éminent de la ville.

Voir l'image en grand Plafond du Grand foyer, calque, 1887. AMM, M4/7 (6)

Michel s’attelle d’abord au plafond du grand foyer. La surface à décorer ne représente pas moins de 80 m². En avril 1887, il propose sur le sujet de « La voie lactée » une vaste composition « à la tonalité claire et vaporeuse » montrant un groupe de nymphes dénudées et alanguies, au teint laiteux contrastant sur un fond bleu nuit, qui flottent sans contrainte dans les airs. Michel s’explique sur son projet : « le nombre de figures nues doivent être assez compactes (sic) pour rendre l’effet lumineux de cette zone d’étoiles qui traverse tout le plafond, c’est-à-dire une longueur de 20 mètres, et dont le nombre s’élève jusqu’ici à plus de quarante. Ces quarante figures nues, plus grandes que nature, constituent un travail énorme devant lequel je ne recule pas, heureux de doter mon pays d’une œuvre sérieuse, dont l’idée a été appréciée déjà par sa poétique originalité ». Son esquisse à l’encre, bien accueillie par la Commission des travaux, est acceptée par le Conseil municipal du 4 mai 1887 pour la somme de 12 000 francs.

Voir l'image en grand Peinture des trois coupoles de l’escalier d’honneur, calque, 1888. AMM, M4/7 (6)Ayant achevé le plafond du grand foyer au début de l’année 1888, le Conseil municipal le charge, le 7 mars suivant, de peindre les allégories du Jour, de la Nuit et de l’Aurore prévues par Cassien-Bernard pour orner les trois coupoles de l’escalier d’honneur pour la somme de 9 000 francs. Sur cette esquisse, il propose pour la Nuit, une nymphe s’endormant aux accords d’une sérénade jouée par un ménestrel sur son luth ; pour l’Aurore, Phaéton sur son char du soleil faisant fuir Séléné et Morphée ; pour le Jour, au centre une nymphe ôtant son voile tandis que le coq chante et deux autres nymphes au premier plan déversant la rosée du matin. Selon Jean Nougaret, l’œuvre rappelle les thèmes du plafond de l’Opéra de Paris, Les Muses et les Heures du jour et de la nuit de Jules Lenepveu.

Les panneaux entre les baies et les arcades ont reçu des toiles marouflées prévues dans le devis de 1886 mais commandées seulement à l’issue d’un concours dans la décennie 1890 à des artistes montpelliérains, pour la plupart anciens élèves d’Alexandre Cabanel à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris : Paul Estève (La Musique et La Tragédie), Auguste Privat (Le Chant et L’Histoire), Max Leenhardt (La Comédie et La Poésie), Alexandre Courtines (La Danse) et Antonin Chatinière (La Pastorale).

Sources :
AMM, 3D13, Bulletin municipal, 1887.
AMM, M4/7 (9), théâtre, sculptures, marbres, mosaïques, 1884-1891.
AMM, M4/7 (6), théâtre, gaz, peintures, menuiseries, 1885-1889.
Jean Nougaret, Montpellier monumental, Tome II, Paris, Centre des monuments nationaux Monum, Editions du patrimoine, 2005.

Octobre : L’inauguration du Grand Théâtre, 1er octobre 1888

Voir l'image en grand AMM, 9S3, p. 222 et 264 Adolphe Gilles, Journal du Théâtre, 1885-1889

L’année 1887 a marqué un palier dans l’avancement du chantier avec la désignation des artistes et artisans. La Ville et l’architecte Sassua surent donner l’impulsion décisive pour achever l’ouvrage. A l’approche de l’été 1888, les travaux s’accélèrent. Sans cesse repoussée, l’inauguration du nouveau théâtre semble se profiler à la fin du mois de septembre. Les échafaudages sont démontés petit à petit et « démasquent aux yeux du public émerveillé les diverses façades qui donnent à ce monument un aspect vraiment grandiose ». A l’intérieur, la grande salle est terminée. La Voie lactée d’Ernest Michel est exposée au Salon à Paris avant d’être posée fin août sur la voûte du foyer. A la mi-septembre, l’installation électrique est terminée. On s’étonne de faire descendre ou monter le rideau métallique sur simple pression d’un bouton ; on s’émerveille de l’intensité lumineuse du lustre qui « peut suffire à lui seul à l’éclairage de la salle de spectacle ». Tout est « d’un effet magique », selon la presse de l’époque.

Le 25 septembre, alors que de nombreux ouvriers s’affairent encore, on fixe définitivement la date de l’inauguration au 1eroctobre par une représentation de gala des Huguenots de Meyerbeer au profit des pauvres. Le chef d’orchestre et directeur du conservatoire Armand Granier compose dans l’urgence la distribution avec quelques belles voix du Midi venues de l’Opéra de Paris : le ténor Valentin Duc, originaire de Béziers, dans le rôle de Raoul de Nangis, la basse Auguste Boudouresque dans le rôle de Marcel, et la soprano Marguerite Baux dans le rôle de Valentine, marseillais tous deux. Mlle Roziers, première danseuse du grand théâtre de Marseille, entre autres, assurera la partie de ballet. Les décors sont confiés plusieurs décorateurs de renom : ceux des 1er et 3e actes sont réalisés par Auguste Rubé et Philippe Chaperon, tandis que les décors des 2e et 5e actes sont créés par le nîmois Jean-Baptiste Lavastre. De son côté, le Préfet sollicite le ministre de l’instruction publique et des Beaux-Arts, ainsi que le directeur des Beaux-Arts pour assister à l’inauguration. Seul le directeur Gustave Larroumet fera le déplacement à Montpellier. Quant à Cassien-Bernard, il déclinera l’invitation. Au début de la représentation, La Marseillaise retentit dans la salle. 4 959,40 francs sont récoltés et convertis en bons de pain et de viande pour venir en aide aux nécessiteux.

La représentation inaugurale : Les Huguenots de Meyerbeer

Voir l'image en grand AMM, 3Fi96 Philippe Chaperon, Salon gothique, projet de décor

Les Huguenots, grand opéra en cinq actes et trois tableaux de Giacomo Meyerbeer, a été créé le 29 février 1836 à l’Opéra de Paris et donné presque sans discontinuer à Montpellier de 1854 à 1878. La célébrité de Meyerbeer (1791-1864), qui a contribué à établir le style du « grand opéra français » apprécié dans l’Europe entière, explique cette programmation constante et le choix de cet opéra pour l’inauguration du nouveau théâtre. Le sujet en est pourtant austère puisqu’il a pour cadre un épisode tragique des guerres de Religion : la nuit de la Saint-Barthélemy (24 août 1572). Le livret d’Eugène Scribe (1791-1861) raconte une histoire d’amour rendue impossible par les événements, les engagements religieux et les méprises sentimentales entre Raoul de Nangis, gentilhomme huguenot, et Valentine, fille du comte de Saint-Bris, l’un des chefs du parti catholique. A l’acte IV, Raoul, venu la rejoindre, entend dans la chambre voisine où elle l’a caché, les chefs du parti catholique mettre au point le massacre des protestants. Nevers refusant d’adhérer au projet rend son épée à Saint-Bris. Raoul part prévenir les siens au péril de sa vie tandis que Valentine essaie de le retenir. C’est sur cette scène que s’achève la plupart du temps cet opéra, le cinquième acte est rarement joué.

Les Archives municipales ont eu la chance d’acquérir l’année dernière un projet de décor pour le théâtre de Montpellier par Philippe Chaperon (1823-1906). Elève de Pierre-Charles Cicéri, décorateur en chef de l’Opéra de Paris, Philippe Chaperon fut avec son collaborateur Auguste Rubé l’un des principaux contributeurs des scènes parisiennes dans la seconde moitié du XIXe siècle. Ce dessin à la plume, encre, aquarelle et rehauts de gouache représente « un salon gothique » et correspond parfaitement à l’atmosphère romantique et aristocratique des Huguenots. Sachant sa participation à cette production, il est très probable qu’il s’agisse du décor conçu pour la représentation inaugurale du 1er octobre 1888, ce qui confère à cette pièce le statut de document exceptionnel et unique pour l’histoire de l’Opéra Comédie.

Novembre : 50 ans de la disparition de l’organiste Jeanne Demessieux (1921-1968)

Jeanne Demessieux, une enfant prodige

Musicienne, compositrice, Jeanne Demessieux fut une des premières femmes organiste à accéder à la célébrité et à faire une carrière internationale. Virtuose des claviers, ses enregistrements des œuvres de Bach, Franck ou Messiaen font encore référence. Son catalogue se compose d’une trentaine de pièces pour orgue, piano et de musique de chambre. Comme pédagogue, elle a enseigné l’orgue pendant deux ans au conservatoire de Nancy, puis fut nommée professeur d'orgue et d'improvisation au Conservatoire Royal de Liège en Belgique en 1952. Elle est considérée comme l’une des plus grands organistes du XXesiècle.

Voir l'image en grand AMM, photographie, 4 S 20 73 1 Jeanne Demessieux enfant, Aigues-Mortes, 1929

Voir l'image en grand AMM, photographie, 4S20/29 Jeanne Demessieux à l’orgue de l’église du Saint-Esprit à Paris, 1936

Jeanne Marie-Madeleine Demessieux est née le 13 février 1921 à Montpellier. Elle est le deuxième enfant d’Etienne Demessieux et de Madeleine Mézy. Elle révèle des talents musicaux très précoces à la suite d’une représentation d’Orphée et Eurydice de Gluck au théâtre de Montpellier. Elle se met à étudier le piano dès l’âge de quatre ans. Et c’est à cinq ans et demi qu’elle a sa première expérience, déterminante, sur l’orgue de l’église Saint-Mathieu. Elle entre au Conservatoire de Montpellier en 1928 dans la classe de Léonce Granier. Elle triomphe pour la première fois sur la scène du théâtre municipal en 1932 et remporte les Premiers prix de solfège et de piano. A la suite de ces succès, la famille s’installe à Paris pour la soutenir dans la préparation du concours d’entrée au Conservatoire national supérieur.

Voir l'image en grand AMM, photo Henri Lacheroy, 4S20/42 Jeanne Demessieux au grand orgue de l’église Saint-Sulpice à Paris, 1946

En octobre 1933, elle est brillamment admise dans la classe de piano de Simon Riera. Jeune prodige, on n’hésite pas à lui confier à seulement treize ans la responsabilité de l’orgue de l’église du Saint-Esprit, inauguré en décembre 1934 par Jehan Alain. Elle s’acquittera de cette tâche jusqu’en 1962.
Sa rencontre avec l’organiste Marcel Dupré, chef de l’école symphonique, en octobre 1936 marque un tournant décisif dans l’orientation de sa carrière comme organiste de concert et compositrice. Marcel Dupré devient plus qu’un maître, un véritable mentor, qui va polir son élève pendant près de dix ans. Il fonde sur elle tous ses espoirs. Frappé par tant de qualités, il veut lui transmettre les secrets de sa technique musicale et en faire son « digne successeur ». Il reçoit Jeanne à son domicile à Meudon pour des leçons particulières et lui permet d’accéder progressivement à partir de 1940 à la tribune du grand orgue Cavaillé-Coll de Saint-Sulpice, dont il est le titulaire. Durant les cinq années de la guerre, Dupré va préparer en toute discrétion Jeanne au lancement de sa carrière de soliste. Il organise sa première apparition publique avec une série de douze récitals à Pleyel en 1946-1948, au moment où il estime qu’elle a atteint le niveau d’excellence. Pour le public parisien, c’est une révélation. Le succès est immédiat. Mais en 1948, c’est la rupture avec son Pygmalion. Jeanne Demessieux vole désormais de ses propres ailes.

Itinérances, de la Camargue aux Amériques

Voir l'image en grand AMM, photographie, 4S20/11 Jeanne et Etienne Demessieux de retour de tournée, 1953

Les concerts historiques donnés à la salle Pleyel lancent sa carrière internationale. Dans l’espace de vingt ans, elle donne plus de 700 récitals en France, au Royaume-Uni, en Belgique, aux Pays-Bas, en Suisse, en Allemagne, aux Etats-Unis et au Canada. Elle mène un rythme de vie effréné, entre les concerts dans le monde entier, les cours donnés à Nancy puis à Liège à partir de 1950 et les services religieux qu’elle doit assurer à Paris au Saint-Esprit puis à l’église de la Madeleine où elle est nommée titulaire de l’orgue en 1962, ce qui ne lui laisse que peu de temps pour la composition. Elle réalise en outre de nombreux enregistrements studio et remporte le Grand Prix du Disque de l’Académie Charles-Cros en 1960 pour l’intégrale de l’œuvre pour orgue de César Franck. En 1947, elle est la première femme invitée à jouer à Westminster Abbey et à Westminster Cathedral à Londres et bénéficie pour cela d’une autorisation spéciale de l’archevêque.

Voir l'image en grand AMM, 4S1 Extrait du journal de Jeanne Demessieux, 27 octobre 1935

Elle triomphe également la même année au Royal Albert Hall et reviendra souvent par la suite en Grande-Bretagne. Partout, c’est le même enthousiasme. Elle effectue trois tournées aux Etats-Unis en 1953, 1955 et 1958. A chaque fois, elle enchaîne les récitals de ville en ville, dormant dans les trains, et se livre à un véritable marathon. Elle est épaulée dans ses voyages par ses parents qui l’accompagnent partout et la secondent. Affaiblie par une santé de nature fragile, cette cadence infernale la conduit vite à l’épuisement. Après 1961, elle se produit en public de plus en plus rarement. Elle meurt d’un cancer le 11 novembre 1968 à Paris, à l’âge de 47 ans.

Voir l'image en grand AMM, photographie, 4S20/31 Jeanne Demessieux à cheval en Camargue, 1958

 

Durant toute son existence, la Camargue fut pour Jeanne Demessieux un refuge. Elle retourne tous les étés dans la maison familiale d’Aigues-Mortes, d’où est originaire sa mère. Elle s’y ressource et trouve le repos dans la simplicité de ce mas provençal, L’Oustaou.

Ses séjours se partagent entre balades à cheval dans les marais et baignades au Grau-du-Roi. Ainsi, en juillet 1938, elle écrit dans son journal : « Me voici dans mon pays de cigales et de chaleur. […] Vous seriez heureuse de constater le bien-être que je ressens ici ; le calme si subit qui m’entoure et la vie que je mène au milieu d’un paysage très aimé me libèrent l’esprit de tout pittoresque ce qui pouvait y être accumulé. La mer est à cinq kilomètres ; on y va à bicyclette avec une chaleur peu comparable le soir ; c’est une impression magnifique lorsqu’on revient au coucher du soleil. Quel plaisir de se rappeler ici l’Isle joyeuse ! Tout contribue à en faire ressentir la beauté. J’ai un piano à ma disposition et un pavillon isolé d’où l’horizon s’étend à perte de vue et dans lequel je compose. », (Archives municipales de Montpellier, 4S1). Jeanne Demessieux repose au cimetière du Grau-du-Roi.

Décembre : D'un théâtre à l'autre. 30 ans de l'inauguration du Corum

Le 17 décembre 1988, le Corum, à la fois Palais des Congrès et Opéra de Montpellier, ouvrait ses portes. Les Montpelliérains arpentèrent ce jour-là pour la première fois ses vastes espaces. En réalité, le bâtiment ne fut achevé que deux ans plus tard, avec l’inauguration de la salle Berlioz le 26 octobre 1990.

Voir l'image en grand AMM, 652W13 R2536 Conférence de presse, Dugrand, Frêche et Vasconi, février 1988

Un chantier pharaonique

La construction du Corum s’inscrit dans l’ambitieuse politique urbanistique -et économique- du maire Georges Frêche, visant à doter la ville d’un équipement culturel et touristique de rang international. Elle s’inscrit aussi dans la politique de grands travaux des années 1980 initiée par le président François Mitterrand. D’emblée, le choix de son emplacement, dans une configuration originale, adossé à une colline, confère à l’édifice son caractère unique. D’un côté, le bâtiment se situe dans le prolongement de l’Esplanade Charles-de-Gaulle et du Champ de Mars, peu élevé et se fondant dans le paysage au bout de la perspective des allées de platanes.

Voir l'image en grand AMM, 652W13 R2361 Visite du chantier du Corum, juin 1987 De l’autre, il joue sur de la déclivité du terrain (une vingtaine de mètres de dénivelé) pour disposer les différents espaces sur quatre niveaux, permettant l’aménagement à la proue de cet immense navire d’un opéra aux dimensions grandioses sans alourdir son aspect monumental. La mise en chantier nécessita au préalable la destruction de plusieurs immeubles du Faubourg de Nîmes au bas de l’Esplanade avant 1983 et le déplacement de l’hémicycle du Monument aux morts situé à l’extrémité du Champ de Mars. Le concours, lancé en juin 1984, est remporté par l’architecte Claude Vasconi (1940-2009), Grand prix national d’architecture en 1982, auteur entre-autres du Forum des Halles à Paris. Les travaux débutent à l’hiver 1986 sous mandat de la SERM (Société d’équipement de la région montpelliéraine). Le Corum a été conçu comme un espace événementiel alliant opéra, centre des congrès, espaces d’exposition et de réception, auxquels s’ajoute une infrastructure complexe de salles de répétition pour l’orchestre et pour la danse, loges d’artistes, salles de commission, locaux administratifs et restaurants, sur une surface totale de 67 000 m2. Il est desservi par trois niveaux de parking enfouis sous l’Esplanade. Son toit a été conçu comme un espace public avec une hélistation.

Voir l'image en grand AMM, 652W13 R2533 Frêche et Vasconi sur le chantier du Corum, janvier 1988La structure du bâtiment, en béton, est entièrement recouverte de granite rose de Finlande « Carmen Red ». Ce matériau est rappelé dans tous les espaces intérieurs. Les façades, par leur coloris rouge, s’accordent avec la tonalité des toits de tuiles la ville. En outre, les lignes épurées rappellent l’architecture militaire anguleuse de la Citadelle voisine, comme un hommage à l’ingénieur des fortifications Vauban et à son prédécesseur Jean de Beins, architecte de la Citadelle.

Voir l'image en grand AMM, 652W13 R2533 Vue générale du chantier du Corum, janvier 1988








Le Corum comprend trois auditoriums : la salle Berlioz de 2000 places, conçue pour la scénographie la plus complète et la plus exigeante ;
la salle Pasteur, équipée de 800 fauteuils, qui permet l’organisation de concerts et de conférences ; et la salle Einstein, d’une capacité de 300 places, qui est dotée d’équipements de projection. Avec ses 5 580 m² d’espaces d’exposition, le Corum est le 3e palais des congrès de France après Paris et Strasbourg. Le coût total du bâtiment, prévu initialement de 450 millions de francs, s’est élevé au final à environ 800 millions de francs, l’équivalent de 120 millions d’euros actuel.

Une inauguration extraordinaire

L’ouverture officielle du Corum eut lieu le samedi 17 décembre 1988 avec la cérémonie d’inauguration de la partie du Palais des Congrès. Dans l’attente de l’achèvement de l’Opéra Berlioz, une cloison provisoire avait été installée pour séparer les deux parties du bâtiment. 96 000 Montpelliérains vinrent au rendez-vous ce jour-là et assistèrent à une rencontre du troisième type entre Georges Frêche et des aventuriers de l’espace. En réalité, le Corum accueillit ses premiers congressistes en 1989.

Voir l'image en grand janvier 1989, p.24, couverture Montpellier Votre Ville, n°116

 Le premier congrès organisé au Corum fut le congrès de Sénologie-Mammographie par le Professeur Jean-Louis Lamarque sous le patronage de la Princesse Caroline de Monaco. En 1990, il reçut 120 manifestations et 30 congrès internationaux. Avec la salle Berlioz, il devint un espace privilégié pour l’accueil de grands festivals : Montpellier Danse, Radio-France, Festival international du Cinéma méditerranéen (Cinemed). Symboliquement, le nouvel opéra de Montpellier aurait dû être inauguré cent ans après l’inauguration de l’Opéra Comédie.

Voir l'image en grand novembre 1990, couverture Montpellier Notre Ville, n°136

Finalement, après de multiples contretemps, ce fut le 26 octobre 1990 que la musique résonna pour la première fois dans l’enceinte de l’Opéra Berlioz du Corum avec l’ouverture La Consécration de la maison de Beethoven. Suivirent jusqu’à la fin de cette année-là une série de spectacles inauguraux qui devaient montrer l’étendue des possibilités de la nouvelle salle : concert symphonique avec l’Orchestre de Radio-France, opéra, danse avec la Compagnie Bagouet, théâtre et cinéma. Ces festivités culminèrent fin novembre avec trois représentations de l’opéra Les Huguenots de Meyerbeer, clin d’œil à l’inauguration du théâtre municipal en 1888, avec le Chœur et l’Orchestre symphonique de Montpellier Languedoc-Roussillon placés sous la direction de Cyril Diederich. Ce nouvel opéra a permis d’une part, de doubler la capacité d’accueil du public par rapport à l’Opéra Comédie, et d’autre part, grâce à une scène de 800 m², de monter de grands spectacles lyriques et de danse, tels les opéras de Wagner qui marquèrent le début de la décennie 1990 à Montpellier.

Bibliographie :
Raluca Boangiu, Montpellier en 100 dates, Editions Sutton, 2013.
Montpellier Notre Ville
, n°135 et 136, octobre-novembre 1990.
Montpellier Votre Ville
, n°115, décembre 1988 et n°116, janvier 1989.

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